Thesaurus de la famille OVIGNEUR
La famille Ovigneur, établie à Lille depuis le XVIe siècle, est une lignée bourgeoise influente en Flandre, reconnue pour son rôle dans l’industrie textile, ses alliances stratégiques avec d’autres familles du Nord, et son engagement pour le bien commun à travers des contributions civiques et militaires. Leur « livre de raison », tenu depuis 1568, documente quatre siècles de filiations et d’héritages, passant des familles Pouille à Bocquet, puis Ovigneur.
1. Industrie Textile
- Contexte historique et activités** :
- **Origines dans la sayetterie** : Les Ovigneur se sont distingués dans la production de textiles, notamment la sayetterie (étoffes légères en laine peignée ou sèche). Dès le XVIe siècle, des ancêtres comme Allard Mainsent (né vers 1569), sayetteur à Lille, témoignent de cette tradition. En 1623, Allard déplore la raréfaction des filets de laine sur les marchés de Lille et Tournai, due à la concurrence hollandaise, soulignant l’importance économique du textile dans la région. - **Charlemagne Ovigneur (1759–1832)** : Fonda en 1787 une entreprise de fabrication et de commerce de fils, qui prospéra jusqu’à atteindre une valeur de 93 890 francs en 1820. L’inventaire mentionne divers types de fils (teints en soie, mouliné blanc, fil à broder, fil à teindre) et des matières premières comme la potasse, l’indigo, le manganèse, le bois de safran, le vitriol, le charbon et les chandelles. L’entreprise exportait vers Paris, Marseille, Bâle, Amsterdam et Anvers, témoignant d’un rayonnement commercial européen. - **Évolution sous Emmanuel et Louis Ovigneur** : En 1820, Charlemagne céda l’entreprise à ses fils Emmanuel (1791–1840) et Louis-Hippolyte (1796–1873), formant « C.J. Ovigneur et frères ». Après la mort d’Emmanuel en 1840, sa veuve Sophie Rhone (1797–1870) poursuivit l’association avec Louis-Hippolyte. En 1847, ce dernier prit seul la direction, modernisant l’entreprise avec une machine à vapeur pour la production de lin. En 1860, la famille établit un tissage de toiles fines à Comines, qui fusionna en 1919 avec d’autres entreprises pour former les **Filatures et Filteries de France**. - **Impact économique** : L’activité textile des Ovigneur, axée sur la qualité et l’innovation (mécanisation au XIXe siècle), a contribué à la prospérité économique de Lille, renforçant son statut de centre textile majeur. Leur commerce international a intégré la famille dans les réseaux économiques européens.
- Analyse** :
Le succès des Ovigneur dans le textile repose sur une spécialisation précoce dans des produits de niche (sayetterie, fils fins) et une adaptation aux évolutions technologiques (machine à vapeur). Leur capacité à maintenir une entreprise familiale sur plusieurs générations, malgré les bouleversements de la Révolution française, illustre la résilience de la bourgeoisie lilloise, qui a traversé cette période sans rupture majeure, contrairement à d’autres classes sociales.
2. Alliances Familiales
- Stratégie matrimoniale** :
- **Origines et premières alliances** : La lignée Ovigneur s’est consolidée par des mariages avec des familles bourgeoises de Lille. Dès le XVIIe siècle, Jean Ovigneur épousa Adrienne Manisent (1646), et leur descendant Joseph Ovigneur (1697–1765) s’unit à Marie-Joseph Bocquet (1704–1787), héritière du « livre de raison » des familles Pouille et Bocquet, renforçant les liens avec la bourgeoisie locale. - **Charlemagne Ovigneur (1759–1832)** : Épousa Angélique Lepers (1765–1831), consolidant la position sociale de la famille. Leurs six enfants ont forgé des alliances stratégiques :
- **Emmanuel Ovigneur (1791–1840)** : Marié en 1820 à Sophie Rhone (1797–1870), fille d’un banquier de Valenciennes, ce mariage lia les Ovigneur à une famille financièrement influente. - **Fanny Ovigneur (1802–1886)** : Épousa Rigobert Sénéchal (1789–1867), neveu de Martial-Joseph Herman, figure révolutionnaire, connectant les Ovigneur à des réseaux politiques.
- **Descendants d’Emmanuel** : Sa fille Clémence Ovigneur (1831–1886) épousa Gustave Desrousseaux-Briansiaux (1823–1886). Leurs filles, Jeanne (1865–1949) et Pauline (1868–1955), marièrent les frères Louis et Édouard Plouvier, intégrant les Ovigneur à un réseau de familles textiles du Nord (Watrelot, Tiberghien, Masurel, Trentesaux). - **Autres branches** :
- **Jules Ovigneur (1833–1886)** : Marié à Aimée Depret (1839–1884), dont la fille Marie Ovigneur (1863–1938) épousa Maurice Boisse, et leur petite-fille Thérèse Boisse (1888–1934) s’unit à Gaston Mulliez, renforçant les liens avec la puissante famille Mulliez. - **Paul Ovigneur (1864–1921)** : Épousa Marthe Lefebvre (1867–1949), et leur fille Sabine Ovigneur (née en 1900) épousa Joseph Prouvost (1896–1965), liant les Ovigneur à une autre dynastie textile. - **Albert Ovigneur (1866–1921)** : Marié à Berthe Plaideau (1871–1951), dont les descendants incluent les Ovigneur actuels (Christian, Didier, Thierry, Xavier). - **Marguerite Ovigneur (1873–1933)** : Épousa Urbain Daniel Virnot (1869–1951), consolidant les relations avec une famille bourgeoise de Mons.
- Analyse** :
Les alliances des Ovigneur, souvent avec des familles de banquiers (Rhone), industriels textiles (Prouvost, Mulliez), ou bourgeois influents (Virnot, Desrousseaux), ont renforcé leur position économique et sociale. Ces mariages stratégiques, souvent accompagnés de dots ou d’héritages (comme la « constitution dotale » d’Emmanuel et Louis), ont permis de consolider le capital économique et le réseau social de la famille, intégrant les Ovigneur dans l’élite industrielle du Nord.
3. Service du Bien Commun
- Engagement militaire** :
- **Confrérie de Sainte-Barbe** : Ancêtre Rémy Bocquet, membre dans les années 1630, illustre l’engagement précoce des Ovigneur dans cette milice communale, devenue les Canonniers Sédentaires de Lille (fondée en 1483). Cette confrérie, symbole de l’autonomie bourgeoise, associait dévotion, parades et festivités. - **Charlemagne Ovigneur (1759–1832)** : Son héroïsme lors du siège de Lille en 1792, où il commanda une compagnie de canonniers face aux Autrichiens, devint légendaire. Malgré la destruction de sa maison et la naissance de son enfant, il resta à son poste, incarnant le patriotisme républicain. Il contribua à l’armement de Lille (1793), commanda un parc d’artillerie à Maubeuge, et fut nommé garde principal d’artillerie en 1793. Membre du club des Jacobins, il fut président local, mais fut arrêté après la chute de Robespierre (1794) et molesté par des royalistes en 1799. Il servit encore comme capitaine des Canonniers Sédentaires (1804–1811) et à Flessingue en 1809. Son refus d’une rue à son nom en 1831 reflète son sens du devoir collectif. - **Émile Ovigneur (1830–1911)** : Commandant des Canonniers Sédentaires, il perpétua l’héritage militaire familial. Il reçut la Légion d’honneur en 1892 pour ses contributions.
- Engagement civique** :
- **Charlemagne Ovigneur** : Membre du conseil général de la commune de Lille (1793), il incarna les idéaux républicains, déclarant avoir partagé un héritage avec ses sœurs par conviction égalitaire avant la Révolution. - **Émile Ovigneur** : Conseiller municipal, conseiller général, juge de paix suppléant, et administrateur d’institutions locales, il fut aussi bâtonnier (1877) et officier de l’instruction publique. Il co-fonda le Souvenir Français, association dédiée à la mémoire des soldats. - **Emmanuel Ovigneur (1791–1840)** : Maire adjoint de Lille, il combina commerce et responsabilités civiques, renforçant l’influence familiale.
- Héritage culturel et symbolique** :
- L’héroïsme de Charlemagne fut célébré dès 1792 dans des gazettes, un dictionnaire des batailles (1818), une chanson en patois (1879), et des tableaux (1875, 1890). Émile amplifia cet héritage en offrant des objets (épée de 1792) et tableaux au musée des Canonniers, et en participant aux commémorations de 1867 et 1892. La rue Ovigneur (1865) et une carte à puce de parking (1998) témoignent de cette mémoire publique. - Le « livre de raison » est un legs historique, préservant l’histoire sociale et économique de la famille.
- Analyse** :
L’engagement des Ovigneur pour le bien commun s’exprime par leur participation active à la défense de Lille (1792, Canonniers Sédentaires) et leur implication dans la gouvernance locale. Leur rôle dans la Révolution et l’Empire napoléonien reflète leur adhésion aux idéaux républicains et patriotiques, tandis que leurs contributions culturelles (musée, commémorations) ont ancré leur nom dans l’histoire lilloise. Cet engagement, combiné à leur prospérité économique, illustre leur rôle de « bourgeois-travailleurs » au service de la communauté.
Généalogie (Résumé)
- **Jean Ovigneur & Adrienne Manisent (1646)** → **Etienne Ovigneur & Marie Jeanne Ducorne** → **Joseph Ovigneur (1697–1765) & Marie-Joseph Bocquet (1704–1787)** → **Charlemagne Ovigneur (1733–1765) & Geneviève Blondel (d. 1819)** → **Charlemagne Ovigneur (1759–1832) & Angélique Lepers (1765–1831)**. - Enfants de Charlemagne et Angélique : Emmanuel (1791–1840), Louis (1796–1873), Fanny (1802–1886), etc. - Descendants notables : Jules (1833–1886), Paul (1864–1921), Albert (1866–1921), avec alliances aux familles Prouvost, Mulliez, Virnot, etc.
Conclusion
Les Ovigneur ont marqué Lille par leur maîtrise du textile (sayetterie, lin, exportations), leurs alliances stratégiques avec l’élite du Nord, et leur service du bien commun via des contributions militaires (Canonniers Sédentaires) et civiques (conseils, associations). Leur héritage, incarné par Charlemagne Ovigneur et amplifié par Émile, reste vivant à travers des commémorations, la rue Ovigneur, et le « livre de raison ».